Ca souffle sur les Grands Moulins !

le 9 février 2016 , par Antoine GABRIEL , 2294 vues

Bastion septentrional de notre bien aimée chaîne de Belledonne, le sommet des Grands Moulins (2495m) offre un point de vue à quasi-360° sur les Alpes mais surtout quelques couloirs bien sympathiques.

Objectif le couloir SW, pleine face (récup image C2C - Nick l'Ermite)

Je ne sais pas pourquoi, mais ce nom sonne bien à mes oreilles. Et puis sa belle face W-SW bien évidente depuis le Grésivaudan ressemble à son voisin le Grand Charnier qui m’hypnotise chaque fois que j’ouvre mes volets.

Les Grands Moulins au fond et le Grand Charnier depuis Saint-Hilaire (archive d'un hiver plus normal)

Les conditions

Quelques chutes en milieu de semaine (30 cm) suivies hélas une nouvelle fois d’un redoux bien décourageant vendredi comme samedi (iso 0°C > 2500 m).

Le BRA nous donne un risque 2 en-dessous de 2300 m, 3 au-dessus. Les faces à éviter sont en N-NE, suite au transport. Nous privilégierons donc le couloir SW (38-42°, 4.1, E1), avec un très faible espoir de poudre, mais en espérant un bon décaillage.

Attention toutefois au vent annoncé fort (60 km/h) en altitude.

Back to basics

Cette fois, vu la longueur de la course, on s’évite un handicap = le groupe ne comporte aucun splitboarder (ne vous inquiétez pas, on va quand-même se marrer). Cinq bonnes guenilles en raquettes et surf en une seule partie, du vrai classique. Didier endosse l’encadrement, Pierrot, Eugénie, Daniel et moi l’accompagnons. Une particularité tout de même que certains connaissent pour le fréquenter : Didier revendique tellement son côté tradi-Guenille old school qu’il monte en chaussures rigides (!) sur des raquettes TSL souples. Un choix payant, surtout pour rester derrière. Je le soupçonne d’ailleurs d’être un spliteux refoulé, mais je garde mes réflexions pour moi (et Pierrot bien sûr), question de respect pour les galons.

Après des conditions frustrantes au Pertuis (voir par ailleurs), nous avons décidé d’emmener Daniel, colombien d’origine, afin de maximiser nos chances de poudre cette fois-ci (oui, c’est limite mais je compte sur votre second degré).

On se gare vers 1300 m, non sans avoir joué les chasse-neige pour gratter quelques mètres et enfumer les skieurs matinaux.

Il est 8h30. On se prépare, petit check ARVA des familles et ça démarre par la route, à l’ombre et en poudre. De bon augure.

Daniel, un brin optimiste est en T-shirt sans gants. Le colombien est caliente.

Après une bonne heure de faux-plat, on arrive au parking d’été de Val Pelouse, d’où l’on distingue enfin la face N des Grands Moulins : Waaaah c’est bô. Mais c’est loin. Mais c’est bô. Mais c’est loin.

Le couloir SW est derrière la crête. C'est pas gagné.

Qu’à cela ne tienne, j’attaque en tête la traversée par la forêt, absolument inintéressante, seulement pénible. Je m’énerve à avancer en dévers dans une vieille trace de raquettes à contre-sens, dont les pas trop rapprochés ne me servent à rien. Je bombarde en pestant, il reste du chemin. Pas la peine de préciser qu’ici un split serait aussi utile qu’un pédalo.

Pierrot me relaie. Bon au moins il fait grand beau et le vent ne s’est pas encore levé, c’est bucolique quand-même. Petit ruisseau, paysages de meringue avec en fond le seigneur Grand Charnier, le Pic du Frêne et notre bel objectif du jour, dont le couloir SW nous est encore caché.

 

C'est chouette quand-même

Regroupement au refuge de la Perrière à 1830m. Ca fait plus de deux heures qu’on est partis, on n’a presque rien grimpé et j’ai déjà bu la moitié de ma flotte (vous vous en foutez mais pas moi).

Peu à peu, ce qui n’était qu’un doute affreux se transforme en évidence = de ce côté toute la face est peignée par les boulettes. La motivation en prend un coup. On continue à traverser pour remonter une croupe qui doit nous amener au couloir. Autant vous dire qu’il n’y a personne d’autre que nous dans le secteur. Guenilles represent !

On commence à avoir l'habitude !

Pierrot attaque la montée par une directissime qui sèche tout le monde. Didier lui intime gentiment de mettre un peu d’angle dans ses montées.

Je le suis, non sans effort dans cette neige absurde qui croustille et patine sous nos appuis. Rah ça m’énerve tellement que je saute ce passage, tant pis vous demanderez aux autres.

J’ose même pas imaginer en split.

Au fait le vent s’est levé.

Je conseille gentiment à Daniel de se rhabiller un peu, histoire de pas laisser trop de peau des bras en cas de glissade. D’autant qu’il vient de casser l’un de ses bâtons, un modèle antique en deux parties vissables qui ressemble plutôt à un piquet de tente canadienne avec une poignée. Et cling, premiers points Guenille d’Or 2016.

Il est presque midi, on arrive enfin au pied du couloir. Pas très rempli, c’est le moins qu’on puisse dire. Béton pour l’instant, mais avec ce soleil ça devrait décailler. En tout cas le manteau est consolidé.

Pierrot en mode Snorky à l'entrée du couloir

Pierrot s’envole en tête. Je tente de le suivre mais je misère au point de compter mes pas. Pourtant on a bouffé la même chose hier soir (une reine supplément oignons et une végétarienne, des bières puis quelques rhums de mon arrangement). Sans doute la vanille trop dosée dans les rhums…

Une partie un peu plus raide. L’expo 1 théorique s’accentue un chouilla avec tous ces rochers en plein milieu.

Après 3/4 d'heure de lutte et 400m d’ascension directe sans véritable replat, on s’abrite sommairement contre un rocher pour attendre Daniel puis Eugénie et Didier qui ont finalement préféré trainer cramponner.

Le vent qui a bien forci nous cingle, les cristaux de neige rentrent de partout. Daniel nous rejoint. La pensée qu’une rafale nous déséquilibre et nous envoie dans la face Nord me convainc de quitter mon sac et la board. Avec Pierrot, on décide de pousser jusqu’au sommet 20 m plus haut.

Ca souffle au sommet !

Super point de vue. A l’extrémité Nord de Belledonne, le sommet est bien marqué et assez isolé. Le 360 est parfait. Chartreuse, Bauges, on aperçoit même le Jura avec un fin liseré blanc, Beaufortin, Mont-Blanc, Vanoise, Maurienne, Grandes Rousses et tout Belledonne en prolongement… Scotchés.

Vallée de la Maurienne et Pic du Frêne

Depuis ce promontoire, le manque de neige saute aux yeux. La Chartreuse et les Bauges sont désespérément sèches. En contrebas, de part et d’autre, Grésivaudan et Maurienne semblent attendre paisiblement l’été…

On vient du bout de la crête, et même encore derrière !

Il ne fait pas vraiment froid, mais avec ce vent, le temps de prendre quelques photos et c’est l’onglée directe.

On redescend se préparer. Didier et Eugénie arrivent, leur pause sera courte.

Le vent a encore forci, le ciel est maintenant voilé. Tant pis ça restera béton. Autant le Pertuis était béton mais changeant voire piégeux, autant ici la couleur est annoncée direct. Ce sera ciré de haut en bas.

Impatients de s’abriter du vent, on s’élance un par un. La pente est pas trop forte sur cette première partie et un semblant de moquette nous met en confiance.

Mais la suite ressemble plus à du lino, voire du carrelage. D’autant que ça se raidit un peu plus. Confiance et prudence. Concentration.

Bon ben c'est béton...

Un ou deux backs trop appuyés me font faire un peu d’huile, deux décrochages rattrapés de justesse. Pour Eugénie ça ne sera malheureusement pas le cas. Elle part sur les fesses sans parvenir à enrayer la glissade avec son piolet, elle passe à ma hauteur, on est tous impuissants à part à crier quelques conseils inutiles. Pourvu qu’elle ne bascule pas, sinon on aura de quoi faire modifier tous les topos du coin dans la partie « exposition »... Après une bonne vingtaine de mètres, elle est freinée par une fine plaque de neige transfo et s’arrête brusquement. Ouf.

Concentrés

On poursuit un peu refroidis, un peu plus hésitants à engager les virages. Puis la sortie est moins dure, on retrouve un peu d’accroche dans les boulettes (et oui, on se contente de ce qu’on a). OK tout le monde souffle, c’était sympa merci, bon exercice technique. Il est 14h. Ne reste plus qu’à récupérer la traversée pour revenir au refuge, remonter 200 m jusqu’au col de la Perrière, se fader l’interminable crête d’Arvillard et redescendre jusqu’à la route. Tout sauf une sinécure.

 

La fin tout en boulettes...

Passons cette partie passionnante de traversée entre les vernes dans des dévers à plus de 40° et la remontée au col (interrompue par la pause pique-nique, il était temps).

Passons également les montées/descentes tout le long de la crête en plein vent. Seul point notable : la différence nette entre la pente SW transfo regelée et la pente NE en poudre ultra-légère. Toutefois pas de quoi regretter sérieusement les faces NE compte-tenu des risques.

C'est long !

Le groupe s'effiloche

Il se fait tard mais l’ambiance s’illumine. Le soleil commence à descendre et passe sous les voiles d’altitude. La lumière s’adoucit et dore tous les sommets. Le vent a faibli. C’est le chouette côté de Belledonne. Avec Pierrot on parvient enfin au bout de la crête et on profite de la descente sur les anciennes pistes de Val Pelouse, en bonne transfo face au soleil bas. Quel contraste. La fin en forêt nous offre même quelques virages de poudre.

Dernier regard vers notre sommet du jour

Didier, resté derrière avec Daniel et Eugénie, décide tout à coup de ne pas se taper les derniers 100 m de la crête et de couper par la route. C’est lors de cette fugue secrète qu’il en profitera pour marquer de gros points pour la GO 2016 en allant discrètement perdre sa board dans les sapins. Avec Eugénie et Daniel comme témoins (complices ?), le coup est parfait.

Après s’être regroupés (j’ai pas dit attendus), on glisse tranquillement dos au soleil en suivant la route jusqu’aux voitures, heureux d’en finir avec cette belle sortie. Il est 16h45.

Notre parcours (manque la route) - Adapté de l'image C2C - Frédéric Bunoz

Au final un bon 1500-1600 en cumul. Ce parcours nous aura pris 8h (comptez 2 à 3 jours dans les mêmes conditions si vous êtes en split).

Ces Grands moulins sont un super sommet avec une vraie belle ligne. Probablement peu fréquenté à cause de l’accès long et difficile, il doit être terrible en poudre.

Mais bon ça, on préfère le laisser aux autres !

Un grand Merci à Didier et bravo à toute la team du jour.

Antoine

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